

Du Bouddha à nos jours
En résumé
Le zen remonte à l’expérience du Bouddha Shakyamuni qui réalisa l’Éveil dans la posture de dhyana (zazen, méditation zen) en Inde au Ve siècle avant J.-C. Cette expérience s’est transmise depuis de façon ininterrompue de maître à disciple, formant ainsi la lignée du bouddhisme zen.
Après une implantation du bouddhisme pendant près de mille ans en Inde, le moine Bodhidharma transmit cet enseignement en Chine au VIe siècle après J.-C. Le zen, sous le nom de ch’an, trouva un terrain favorable à son développement et connut un grand épanouissement dans ce pays. Pendant cette période, les pratiquants purent expérimenter son originalité, sa simplicité et la pureté de sa pratique.
Au XIIIe siècle, le moine japonais Dôgen, après un séjour en Chine, implanta le zen Sôtô au Japon. Fondateur de cette école, Maître Dôgen est aussi considéré comme l’un des plus grands philosophes du bouddhisme. Depuis, le zen influence profondément la culture japonaise. Plus de 20 000 temples témoignent aujourd’hui d’un rayonnement remarquable.
Au XXe siècle, l’Occident commence à s’intéresser au zen dans son aspect philosophique tandis qu’à la même époque, au Japon, le Maître Kodo Sawaki, qui fait partie d’un courant réformateur du zen, donne une impulsion nouvelle à la pratique de la simple assise, en particulier en dehors des temples. À la fin des années soixante, c’est l’un de ses successeurs, Taisen Deshimaru, qui apporte à l’Europe l’essence de cet enseignement, comme l’avait fait Bodhidharma en Chine mille cinq cents ans auparavant.
Pour approfondir
- I/ Origines du bouddhisme zen
- II/ Le bouddhisme Ch'an en Chine
- III/ Le zen au Japon
- IV/ L'arrivée du zen en Europe avec Maître Deshimaru
I/ Les origines du bouddhisme zen
Bouddha était un homme ordinaire mais de haute extraction puisqu’il était fils du chef du clan des Shakya, et donc un Kshatriya (caste des guerriers). Il naquit il y a 2 600 ans dans un petit royaume du nord de l’Inde situé au pied de l’Himalaya. Il reçut une bonne éducation intellectuelle, physique et artistique, une formation appelée à faire de lui un parfait « gentilhomme ». Il se maria, eut un fils, et goûta tout ce que la vie pouvait lui apporter de satisfaisant.
Lors d’une sortie hors de son palais, il fit trois rencontres et prit conscience de la maladie, de la vieillesse et de la mort, liées à la condition humaine. Alors, inspiré par la rencontre avec un religieux, Shakyamuni (Siddhārtha Gautama) se tourna vers les écoles philosophiques et religieuses, nombreuses dans l’Inde de son temps. Il quitta sa famille et son palais, vécut dans la forêt avec des ascètes et décida de se consacrer à trouver l’origine de la souffrance et son remède pour atteindre la paix.
Il étudia et pratiqua les divers courants philosophiques de son époque mais aucun ne combla son attente. Finalement, déçu par ces écoles mais toujours animé d’une grande détermination, il s’assit dans la posture de dhyâna (zazen), décidé à ne pas bouger tant qu’il n’aurait pas résolu le problème de la vie et de la mort.
Après avoir traversé tous les états infernaux de l’ignorance, de l’avidité et de l’aversion puis vaincu toutes ses illusions, il trouva en lui la paix suprême et éternelle. Il était arrivé jusqu’en son cœur, avait atteint sa nature originelle, vide de toute forme. C’est à partir de ce moment qu’il fut appelé Bouddha, l’Éveillé, « Shakyamuni », le Sage du clan des Shakya.

Il poursuivit la pratique de l’assise, clarifiant le problème de la souffrance pour mieux comprendre comment elle apparaît, comment elle se développe et comment s’en libérer. C’est alors qu’il établit les fondements de l’enseignement qu’il exposa toute sa vie à ses disciples, les invitant à se libérer des illusions.
Ses enseignements formeront les sutras du canon bouddhique. Cependant, c’est hors des écritures, simplement assis, totalement immobile, qu’il s’est Éveillé.
Parmi ceux qui se rassemblèrent autour de lui et devinrent ses disciples, Mahakashyapa fut désigné comme son successeur et transmit à son tour l’essence de l’enseignement à Ananda… Cette transmission, de personne à personne, de maître à disciple, se perpétue sans interruption depuis cette époque jusqu’à nos jours.
C’est ainsi que nous, pratiquants du zen, sommes les disciples en ligne directe de Shakyamuni Bouddha : nous entendons son enseignement, nous poursuivons sa pratique.
Un texte écrit par Maître Jean-Pierre Taiun Faure
II/ Le bouddhisme ch’an
Pour comprendre les évolutions actuelles du zen Sôtô, il est intéressant de plonger à sa source, en étudiant notamment une des périodes les plus riches du bouddhisme, celle de la diffusion du ch’an en Chine du VIe au XIIIe siècle. Le bouddhisme arrive en Chine dans une terre déjà riche culturellement. Deux écoles de pensée majeures l’ont fécondée depuis plusieurs siècles : le taoïsme et le confucianisme. Lors de son établissement en Chine, l’expression du message du Bouddha s’est imprégné de la culture de ce pays tout en conservant son authenticité.
Les sept siècles de présence du zen en Chine peuvent être divisés en trois grandes périodes.
Première période (VIe – VIIe siècle)
Le ch’an se développe à partir de la venue du moine Indien Bodhidharma au VIe siècle. Cette époque est celle des patriarches fondateurs : Bodhidharma, Eka, Sôsan, Dôshin et Kônin et en point d’orgue le sixième patriarche Daikan Enô. Il eut deux successeurs principaux : Nangaku Ejo et Seigen Gyoshi qui sont à l’origine de toutes les grandes lignées qui apparurent ensuite.
Seconde période (VIIe – Xe siècle), l’âge d’or du Ch'an
De nombreuses lignées apparaissent dans la transmission du ch’an. Beaucoup s’éteindront par la suite mais d’autres seront à l’origine des cinq grandes écoles qui apparaîtront plus tard. C’est à l’époque de Hyakujô (IX° siècle) qu’apparaissent les premiers monastères ch’an avec leurs règles propres. Dôshin avait déjà jeté les bases d’une œuvre que Hyakujô poursuivit en instituant la fameuse règle : « Un jour sans travail, un jour sans manger. » C’est la naissance du samu.
Cette époque est celle des premiers textes fondateurs du zen Sôtô tels le Sandokai et l’Hōkyō Zanmai. Une extraordinaire créativité se manifeste et des maîtres réputés tels que Nangaku, Sekito, Tokusan, Basô, Yakusan, Tôzan, Hyakujô, Seppô, Rinzai, Nansen ou Joshu, qui appartiennent à différentes lignées, développent chacun un enseignement original avec sa formulation propre.

Tôzan et Sôzan par exemple, considérés comme les fondateurs de l’école Sôtô, ont créé un grand nombre de formules célèbres telles les cinq degrés (go i), les trois chemins, les trois chutes, les trois fuites, etc. Toutes ces formules et ces expressions doivent permettre aux disciples d’éviter les pièges de la compréhension intellectuelle en les sortant des ornières de leurs connaissances antérieures et en les éveillant à la réalité de la voie du Bouddha.
Certains de ces maîtres sont à la tête de communautés très importantes comprenant parfois plus de mille moines et ont un grand nombre de successeurs dans le Dharma. Ainsi, Seppô donne la transmission officielle — le shihō à une cinquantaine de ses disciples.
Cette période est appelée l’âge d’or du Ch'an. C’est à cette époque qu’apparaissent les cinq écoles ou cinq maisons : Hôgen, Ummon, Igyô, Sôtô et Rinzai. Les histoires et les anecdotes concernant les patriarches de ces écoles sont devenues des références pour les étudiants et sont à l’origine de ce qu’on appellera les koans, de petites histoires absurdes en apparence ou énigmatiques ne pouvant pas être résolues par la logique ordinaire.
Troisième période (Xe-XIIIe siècle)
C’est dans ce contexte particulièrement riche et prolifique que s’ouvre la troisième période d’expansion du ch’an (dynastie des Song). Elle voit apparaître une littérature de plus en plus raffinée et des écoles qui établissent leur spécificité avec un tel rigorisme que les remèdes eux-mêmes produisent de nouvelles maladies. Ainsi, c’est au XIIe siècle que se déroule la fameuse (vraie-fausse) polémique entre Wanshi Sogaku de la lignée Sôtô et Daie Sôkô, qui rédigea le Hekiganroku, recueil et commentaires de koans de la lignée Rinzai.
Wanshi Sogaku (1091-1157) est considéré comme le patriarche qui ranime une lignée Sôtô moribonde en redonnant son vrai sens à la pratique de shikantaza, la simple assise. À son époque, zazen était devenu une pratique quiétiste dénuée de tout esprit d’Éveil pendant laquelle les moines somnolaient plus qu’ils ne méditaient. Ainsi, à force d’être absorbés dans un état proche du vide mental, les moines ne pouvaient plus répondre aux exigences de la vie quotidienne, notamment dans leurs relations avec les laïcs.
C’est pour répondre aux critiques et à la désapprobation de nombreux maîtres et notamment de Dai’e Soko, que Wanshi écrivit ses textes les plus profonds tel le Mokushoka (chant de l’illumination silencieuse) où la pratique de shikantaza retrouve toute sa dimension et son mystère.
C’est ce pur shikantaza que Tendo Nyojo transmettra au jeune Dôgen venu du Japon à la recherche de l’authentique Dharma.
Un texte écrit par Maître Olivier Reigen Wang-Genh
III/ Le zen au Japon
Le bouddhisme a été introduit au Japon vers le Ve siècle après J.-C. Rapidement, diverses écoles, d’origine coréenne ou chinoise, s’y sont développées aux côtés de la religion autochtone, le Shintô (la « voie des dieux »).
Autour du XIIIe siècle, le bouddhisme japonais, devenu prospère, est renouvelé en profondeur par plusieurs réformateurs d’exception. L’un d’eux, Maître Dôgen (1200-1253), implante dans le pays la branche Sôtô (en chinois, Caodong) du bouddhisme zen chinois (ch’an). La Voie qu’il avait reçue de son Maître Nyojô (en chinois, Rujing) était centrée sur le shikantaza, "simplement assis", le zazen pratiqué sous la direction d’un maître et compris non pas comme processus graduel d’affranchissement des illusions, mais comme accès immédiat et universel à l’Éveil du Bouddha et des patriarches.

Maître Dôgen est considéré comme l’un des penseurs les plus profonds et les plus originaux que le Japon ait connus. Son œuvre majeure, le Shôbôgenzo (Le Trésor de l’œil de la vraie Loi), réunit 95 fascicules écrits à diverses périodes de sa vie et pour des publics variés. Son Éveil s’exprime également dans les règles qu’il a rédigées pour sa communauté monastique (Eihei Shingi, la Règle pure du temple de la paix éternelle).
L’une de ses innovations majeures est de proposer les mêmes préceptes pour les laïcs, les moines et les nonnes et de les ramener au nombre de 16 (au lieu de 350 pour les nonnes, 250 pour les moines et 48 pour les laïcs). Outre sa tâche d’enseignement, il fonde deux temples, dont l’Eihei-ji, Temple de la Paix éternelle, qui est aujourd’hui l’un des deux temples principaux du zen Sôtô au Japon.
Si Maître Dôgen est considéré comme le « père » de l’école Sôtô, Maître Keizan (1264-1325) en est la « mère ». L’école Sôtô le tient unanimement comme celui qui a fait rayonner l’enseignement de Maître Dôgen au Japon et assuré la pérennité de l’école dans ce pays. Son œuvre majeure, le Denkôroku, « Recueil de la transmission de la lumière », a défini la généalogie des maîtres du zen Sôtô en posant Maître Dôgen comme le 51e successeur du Bouddha Shakyamuni.
Par ailleurs, Maître Keizan joue un rôle majeur dans l’établissement des rites de l’école, travail dont les enjeux sont profonds et multiples. En instaurant un calendrier liturgique, il relie de manière concrète la « pratique continue » de Maître Dôgen et le mouvement cyclique de l’univers (écoulement des jours, des mois et des années). En développant ou en introduisant des rites qui ne concernent pas seulement la communauté monastique, il favorise le rapprochement entre les moines zen et le reste de la société. Ainsi, aujourd’hui encore, c’est à travers les cérémonies funéraires que les contacts de la population japonaise avec le zen sont les plus nombreux.
Maître Keizan a fondé plusieurs temples dont le Sôji-ji qui est le deuxième temple zen Sôtô le plus important au Japon. Il a eu de nombreux disciples, dont certains de grande valeur.
Forte de ce double héritage, l’école Sôtô s’est par la suite largement développée, touchant toutes les couches de la population japonaise. De nos jours, elle compte au Japon 15 000 temples et 30 000 moines ou nonnes. Ces derniers ont le droit de se marier et de fonder une famille. Beaucoup d’entre eux, après leur formation, quittent le monastère pour rejoindre un temple de dimensions plus modestes. Un certain nombre enseigne le bouddhisme et fait pratiquer zazen à des laïcs.
Un texte écrit par Maître Laurent Genshin Strim
IV/ L'arrivée du zen en Europe avec Maître Deshimaru
Le bouddhisme est découvert par l’Occident au XIXe siècle et suscite dès cette époque un grand intérêt : c’est la naissance des études bouddhiques, donnant lieu aux premières traductions et suscitant l’engouement de certains milieux intellectuels. La tradition zen se fait connaître un peu plus tard par les ouvrages de Daisetz Suzuki, qui ont une grande influence avant et après la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit toutefois d’une approche essentiellement intellectuelle qui concerne plutôt l’école Rinzai. La pratique du zen Sôtô se diffuse quant à elle en Occident à partir des années 1960, d’abord aux USA puis en Europe avec la venue à Paris en 1967 de Maître Taisen Deshimaru.
Le révérend Taisen Deshimaru (Yasuo de son prénom civil) est né au Japon en 1914 près de la ville de Saga sur l’île de Kyushu. Son père, commerçant, est un notable. Sa mère est une fervente adepte du bouddhisme Jôdô Shinshu (école de la Terre pure) fondé par Shinran. Elle lui transmet sa foi dans l’enseignement de cette école. Il est également influencé par l’esprit du bushido qui régnait dans le Japon de l’époque, notamment dans la ville de Saga, haut lieu de l’esprit des samouraïs.
À la fin des années 1930, alors qu’il suit des études d’économie à Yokohama, il commence à pratiquer le zen Sôtô avec Kôdô Sawaki Rôshi, un des grands maîtres du zen au XXe siècle, qui était alors godo (instructeur des moines dans le dojo) du temple de Soji-ji, l’un des deux temples principaux de l’école Sôtô. Maître Deshimaru souhaite devenir moine mais Sawaki l’encourage à pratiquer tout en continuant une vie laïque, ce qu’il fait au cours des trente années suivantes. Pendant la guerre, réformé en raison de sa myopie, il est envoyé en Indonésie pour diriger une exploitation minière et reste en contact avec son maître. Après la guerre, il sera un homme d’affaires – en fait davantage préoccupé par la Voie et suivant toujours Sawaki Rôshi.
En 1965, avant de mourir, Kôdô Sawaki accepte de lui donner l’ordination de moine. Taisen Deshimaru ressent qu’il a alors résolu les contradictions qu’il éprouvait entre les aspects matériel et spirituel de la vie, et entre les enseignements du Jôdô Shinshu et du zen.
En 1967, après avoir été invité par un groupe d’adeptes français de la macrobiotique, il s’installe en France où il s’investit totalement dans l’enseignement de zazen et de la tradition zen. Il arrive alors à un moment favorable et sa mission reçoit rapidement un grand écho. En quelques années, il multiplie les conférences et les sessions de pratique, traduit les textes fondamentaux du zen, publie des ouvrages et crée l’Association Zen d’Europe (qui deviendra l’Association Zen Internationale, l’AZI).
Le nombre de ses disciples ne cesse de grandir et il fonde de nombreux lieux de pratique. Au fur et à mesure de la croissance du zen en France et en Europe, son activité est également reconnue au Japon. Il reçoit la transmission du Dharma — le shihō de Yamada Reirin Rôshi dans le courant des années 1970 puis est nommé Kaikyo-sokan (supérieur des activités missionnaires) pour l’Europe en 1976.

Son œuvre prend alors plus d’ampleur et aboutit à la création du temple de La Gendronnière en 1979. Le nombre croissant de ses disciples, le travail d’implantation et d’adaptation de la tradition et la gestion de l’ensemble des activités nécessitent des efforts toujours plus grands. Taisen Deshimaru a le projet de faire venir d’autres enseignants japonais pour le seconder mais il tombe malade en 1981 et décède des suites d’un cancer le 30 avril 1982 à Tokyo.
Doté d’une énergie exceptionnelle, Taisen Deshimaru Rôshi était animé d’une foi inébranlable dans la pratique de zazen, dans l’enseignement pur des bouddhas et des patriarches du zen, et dans l’importance de cette pratique et de cet enseignement pour la civilisation à venir. Bien qu’il n’ait pas nommé de successeur direct ni donné de transmission officielle (shihō) à des disciples encore trop jeunes dans la pratique, il a transmis cette foi à de nombreux pratiquants qu’il avait formés, parmi lesquels un certain nombre avait été désigné pour devenir de futurs maîtres.
Fondateur du zen en Europe, Taisen Deshimaru a ainsi implanté durablement la tradition vivante du zen dans une terre nouvelle.
Un texte écrit par Maître Pierre Dôkan Crépon